A la vie, à la mort
Il y a ceux qui donnent juste dans l'art de vivre, jusqu'à l'écoeurement, et puis ceux qui réussissent leur mort (lire à cet égard et d'urgence, on ne sait jamais, le salvateur Réussir sa mort, de Fabrice Hadjadj).
Autant qu'on en puisse juger, Frédéric était de cette trempe d'hommes forts et discrets à la fois qui préparent leur sortie mine de rien. Sortie de route, comme il se doit pour un accident de moto. Rien n'avait été vraiment prévu pour ses obsèques et pourtant, ce furent les plus belles : une messe en latin quasi monacale et son homélie pour nous relier au Ciel, sous une admirable voute romane d'Ile-de-France, un discours inattendu de sa veuve inspirée, tout en force et en délicatesse. Jusqu'au gueuleton dans cette école qui vit nos jeux d'enfants - quelle heureuse idée que cet usage qui relie les morts au vivants dans un dernier banquet ! Se réchauffer le coeur au milieu des copains un peu montés en graine et fidèles, quel réconfort pour Babette.
Il y a autre chose encore : ces trois jours passés au côté de sa dépouille, de lui et plus lui à la fois. Il avait fallu fermer le cercueil avant de le ramener chez eux mais il était là, pilier horizontal soutenant la maison, arbre à palabre familial, canal de grâces. Y a-t-il une autre façon de dire à Dieu à ses morts que de les veiller ainsi, en pointillés, entre le dessert et la vaisselle, entre les rires et les pleurs ? D'expérience, il n'est pas de plus belle manière d'apprivoiser la mort que de lui faire ainsi une petite place dans l'ordinaire.